Dans cette partie, à l'Imam
Sénoussi de nous entretenir du jugementrationnel en nous rappelant, au
passage, les règles de la définition, et celles de la logique en général. La
"Science du Monothéisme" étonne bon nombre de gens car elle englobe des
termes et des principes de métaphysique, du rationalisme, de philosophie, de
la logique, l'Essence divine et les attributs divins, le créé, la substance,
les accidents, les attributs humains, le possible, le contingent,
l'impossible, etc. Le fait de prouver l'existence et les attributs du divin
Créateur par le raisonnement laisse bon nombre de gens sans voix, accroît inimitié et rébellion dans le coeur d'autres. Pour aborder cette "science", la nécessité oblige donc de poser tout d'abord les règles du raisonnement. Ces règles que ne peut comprendre tout étranger à cette science. Et comme l'a dit l'Imam : Méconnaître l'attribut c'est méconnaître le sujet (أَنَّ الجَهُلَ بِالصِّفَةِ جَهْلٌبِالمُوْصُوف).
Les Prolégomènes de l'Imam Sénoussi.
Au nom de Dieu,
Le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux !
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X
Thème : Le jugement expérimental est l'affirmation, basée sur l'expérience, d'une relation entre deux choses sous le rapport de l'existence ou de la non existence, sans que cette relation soit nécessaire, et sans que l'une des deux choses ait une action quelconque sur l'autre.
Exposé :
Le jugement expérimental(الحُكْمُالعَادِيُّ) [1]estdoncl'affirmation d'un lien entre l'existence ou la non existence d'une chose, et l'existence on la non existence d'une autre chose.
Les mots sous le rapport de l'existence ou de la non existence(وُجُوداً أَوْ عَدَماً) s'appliquent aux deux choses et non à l'une des deux seulement; car, dans cette dernière hypothèse, la définition ne conviendrait pas aux quatre catégories du jugement expérimental énumérées plus loin. Les mots affirmation basée sur l'expérience (بِوَاسِطَةِالتَّكَرُّرِ) distinguent la relation affirmée par le jugement expérimental de la relation (rabt)[2]logique ('aqlan - عَقْلاً) ou légale (char'an - شَرْعاً).
- Il y a relation logique, par exemple, entre l'existence de la science dans le sujet et fait que ce sujet est savant. - Il y a relation légale entre le déclinement du soleil et l'obligation d'accomplir la prière du midi (dhohr). Aucune de ces deux relations nepeut êtredite expérimentale, parce qu'elle n'est pas subordonnée à l'expérience[3].
Les mots «avec cette réserve que la relation peut ne pas exister» (مَعَ صِحَّةِ التَّخَلُّفِ) et les mots «sans que l'une des deux choses à une action quelconque sur l'autre» (وَ عَدَمَ تَأْثِيرِ أَحَدَهِمَا فِي الآخَرِ أَلْبَتَّةَ) n'ont pas été ajouté pour définir le jugementexpérimental (الحُكْمُالعَادِيُّ), mais à titre d'explication (de mise en garde), pour mieux préciser et pour combattre une erreur très commune en ce qui concerne le jugement de l'expérience ; on va, en effet, jusqu'à s'imaginer que la relation constatée par le jugement expérimental (الحُكْمُالعَادِيُّ) n'est autre chose qu'une relation de dépendance indissoluble comme la dépendance logique, ou la relation de cause à effet de l'un sur l'autre. Nous avons donc indiqué (attiré l'attention), par cette phrase la relation constatée dans le jugement expérimental (الحُكْمُالعَادِيُّ) n'est qu'une relation de concomitance[4] et de significationconventionnelle (dalâlah dja'liyah - دَلَالَةجَعْلِيَّة) et non une relation de dépendance (louzoûm) logique ('aqly) (لَا رَبْطُ لُزُمٍ عَقْلِيٍّ), ni une relation de cause à effet de l'un sur l'autre (وَ لَا رَبْطُ تَأْثِيرٍ أَحَدَهِمَا فِي الآخَرِ).
Nous avons indiqué qu'il n'y a pas de relation ressemblant à une relation logique par les mots sans que cette relation soit nécessaire. (مَعَ صِحَّةِ التَّخَلُّفِ)En même temps, nous avons signalé l'erreur de ceux qui voient dans le lien qui unit les notions expérimentales un lien indissoluble de dépendance, erreur qui les conduit à nier la résurrection universelle, le retour des morts à la vie dans le tombeau, et le séjour éterneldans le Feu [de l'Enfer], avec la persistance de la vie, parce que, disent‑ils, tout cela est contraire aux constatations répétées de l'expérience [habituelle] parce que la relation prouvée par l'expérience ne peut pas ne pas exister.
Et nous avons indiqué qu'il n'y a pas de relation de cause à effet par les mots sans que l'une des deux choses ait une action quelconque. (وَ عَدَمَ تَأْثِيرِ أَحَدَهِمَا فِي الآخَرِ أَلْبَتَّةَ)
On pourrait dire aussi que l'introduction de cette double restriction dans la définition du jugement expérimental (الحُكْمُالعَادِيُّ) a pour but de le mieux faire connaître. Méconnaître l'attribut d'une chose et lui assigner le contraire de cet attribut, c'est forcément en méconnaître la chose elle‑même. C'est la doctrine adoptée par le Maître Abî 'Imrân Alfassi[5] (que Dieu l'agrée !) dans la controverse bien connue[6] et qui est celle‑ci : Si un homme méconnaît l'un des attributs de Dieu le Suzerain, Béni et Très Haut, et lui assigne un attribut contraire, incompatible avec le Majestueux et Très Haut, comme la corporéité[7], la direction[8] (djihah), etc., qui sont impossibles à l'égard de Dieu le Béni et Très Haut, peut‑on ou ne peut‑on pas dire de cet homme qu'il méconnaît Dieu lui‑même ? La réponse la plus satisfaisante, c'est qu'il méconnaît Dieu lui‑même, suivant la doctrine d'Abou 'Imrân Alfassy (que Dieu le Très Haut lui fasse miséricorde !). D'où il résulterait que celui qui ignore le caractère du jugement expérimental (الحُكْمُالعَادِيُّ), à savoir que ce jugement constate une relation de concomitance créée et que cette concomitance peut ne pas exister ; qui croit que cette relation est une relation de cause à effet, une relation de dépendance nécessaire ; celui‑là peut être considéré comme ne connaissant pas le jugement expérimental, d'après l'opinion ci‑dessus, à savoir que méconnaître l'attribut c'est méconnaître le sujet (أَنَّ الجَهُلَ بِالصِّفَةِ جَهْلٌ بِالمُوْصُوف). D'après cette doctrine[9], la suppression des deux phrases restrictives dont nous venons de parler nuirait[10] à la définition du jugement expérimental. Et à Dieu le plein succès !
XI
Thème : Il y a quatre sortes de jugement expérimental :
1°) Celui qui lie l'existence d'une chose à l'existence d'une autre ; la satiété, par exemple, à l'absorption des aliments ; 2°) Celui qui lie la non existence d'une chose à la non existence d'une autre ; par exemple l'absence de satiété à l'absence d'alimentation ; 3°) Celui qui lie l'existence d'une chose à la non existence d'une autre ; par exemple la faim à l'absence d'alimentation ; 4°) Celui qui lie la non existence d'une chose à l'existence d'une autre ; par exemple l'absence de la faim à l'alimentation.
Exposé :
On sait déjà que la relation, affirmé par le jugement expérimental (الحُكْمُالعَادِيُّ), entre deux choses, peut porter sur l'existence de chacune de ces deux choses et sa non existence ; d'où il suit que cette relation est de quatre sortes, ce nombre résultant de la multiplication des deux cas (existence et non existence de l'une des deux choses) par deux autres cas (existence et non existence de la seconde chose). Si l'une des deux choses est la causeexpérimentale de l'autre, son existence et sa non existence sont liées à l'existence et à la non existence de celle‑ci. Si l'une des deux choses est la conditionexpérimentale de l'autre, la non existence de la première se lie à la non existence de la seconde ; mais il n'y a pas corrélation entre l'existence de la première et l'existence ou la non existence de la seconde. Enfin, si l'une des deux choses est un empêchement expérimental à l'égard de l'existence de l'autre, l'existence de l'empêchement se lie à la non existence de cette seconde chose ; mais non existence de l'empêchement ne se lie ni à la non existence, ni à l'existence de cette chose.
Mais, dira‑t‑on, la conclusion de ce que vous venez de dire serait qu'il n'y a que trois sortes de jugement expérimental : 1°) celui qui rattache l'existence d'une chose l'existence d'une autre, en ce qui concerne la cause expérimentale. 2°) celui qui rattache la non existence d'une chose à la non existence d'une autre, également en ce qui concerne la cause et en ce qui concerne la condition. 3°) enfin, celui qui rattache la non existence d'une chose à l'existence d'une autre, en ce qui concerne l'empêchement expérimental. Reste celui qui rattache l'existence d'une chose à la non existence d'une autre ; et ce jugement ne rentre dans aucun des trois cas, les seuls que comporte le jugement expérimental. D'où tirez‑vous donc la quatrième sorte ?
La réponse est celle‑ci[11] : La quatrième sorte, qui conclut à l'existence d'une chose par suite de la non existence d'une autre, résulte de la cause et de la condition expérimentales. On sait déjà, en effet, que l'absence de la cause a pour conséquence l'absence de l'effet (l'auteur, le mousabbab - المُسَبَّب), de même que l'absence de la condition a pour conséquence l'absence de la chose conditionnelle (le machroût). Or, de ce que l'absence de la cause entraîne l'absence de l'effet (le mousabbab), il résulte forcément que l'absence de la cause entraîne l'existence du contraire de l'effet ; l'existence de ce contraire se lie donc forcément à l'absence de la cause. Par le même raisonnement, on se rend compte que de l'absence de la condition résulte le contraire de la chose conditionnelle ; l'existence de ce contraire se lie, par suite, à l'absence de la condition.
On un exemple de cause expérimentale, dans l'absorption d'un aliment suffisant, par rapport à la satiété, un exemple de condition expérimentale dans I'absence de la faim canine[12], également par rapport à la satiété ; un exemple d'empêchement expérimental de la satiété dans la faim canine. Les exemples donnés dans le texte se rapportent à la cause expérimentale, l'absorption d'aliments, considérée au point de vue de son existence, ou de son contraire, ou de son contradictoire, par rapport à l'existence[13] de la cause[14] (sabab), c'est‑à‑dire de la satiété, ou de son contraire, ou de son contradictoire[15]. Et à Dieu le plein succès !
XII
Thème : Quant au jugement rationnel, c'est l'affirmation ou la négation d'une chose, sans intervention ni de l'expérience, ni d'une règle imposée.
Exposé :
Si cette dernière espèce de jugement (الحُكْمُالعَقْلِيُّ) est seule attribuée à la raison(عقل) [16], bien que tous les jugements soient perçus uniquement par le moyen de la raison, c'est parce que la raison seule suffit pour le percevoir avec ou sans réflexion[17]. Exemples :
1°) Exemple d'affirmation d'une chose : 1 est la moitié de deux, 2°) Exemple de négation d'une chose : 3 n'est pas la moitié de 4.
Dans la définition qui précède, les mots affirmation ou négation d'une chose(إِثْبَاتُ أَمْرٍ أَوْ نَفْيُهُ) constituent le genre dans la définition grammaticale ; les mots sans intervention ni de l'expérience, ni d'une règle imposée (مِنْغَيْرِتَوَقُّفٍعَلَىتَكَرُّرِ), marquent la différence spécifique qui distingue le jugement rationnel du jugement expérimental comme celui-ci : la potion d'oxymel calme la bile. En effet, ce jugement ne peut résulter que de la répétition du même fait et de l'expérience, démontrant que la chose affirmée n'est pas fortuite[18]. On peut objecter que nous affirmons cette propriété de l'oxymel, par confiance à l'égard des médecins, sans en avoir fait l'expérience nous même. Je réponds que nous affirmons cette propriété en nous fondant sur une expérience pour laquelle nous nous en rapportons aux médecins. Il n'est pas indispensable que l'expérience sur laquelle s'appuie le jugement expérimental émane de chacun de nous : il suffit qu'elle émane d'une personne digne de foi. Les mots ni d'une règle imposée(وَ لَا وَضْعِوَاضِعٍ) marquent une autre différence par laquelle le jugement rationnel se distingue du jugement légal (الحُكْمُالشَّرْعِيُّ)[19].
–Mais, objectera-t-on, comment peut on dire du jugement légal qu'il résulte d'une règle imposée et qu'il a été établi, alors que ce jugement est la déclaration de Dieu, et Sa parole est éternelle(القَدِيم) [20] ? Ce qui est éternel n'est ni imposé, ni établi. –Je réponds : Ce que nous entendons ici par jugementlégal (الحُكْمُالشَّرْعِيُّ), c'est l'application effective (التَعَلُّقُ التَّنْجِيزِيُّ)[21] de la déclaration de Dieu Très Haut, éternelle, aux actes des personnes responsables[22], après que ces personnes sont venues à l'existence et ont réuni les conditions de capacité nécessaires. Or, cette application[23] n'est pas éternelle[24]. Ce qui est éternel, c'est seulement la parole de Dieu le Très Haut (تَعَالَى) et son application logique et éventuelle[25] de toute éternité (الأَزَل) aux personnes responsables.
L'emploi des motsjugement légal (الحُكْمُالشَّرْعِيُّ), avec le sens d'application effective[26] et adventice[27], est, du reste, connu chez les jurisconsultes[28] et chez les théoriciens[29]. Et à Dieu le plein succès !
XIII
Thème: Le jugement rationnel ou logique est de trois sortes : la nécessité, l'impossibilité et la contingence.
Exposé :
Il y a forcément, dans cette phrase un antécédent sous‑entendu (حَذْفِمُضَافٍ) ; il faudrait dire : l'affirmation de la nécessité(إِثْبَاتُالوُجُوبِ),l'affirmationde l'impossibilité(إِثْبَاتُالإِسْتِحَالَةِ), l'affirmationde la contingence (إِثْبَاتُالجَوَازِ) ; au bien : l'objet du jugement rationnel est de trois sortes, etc. Il est nécessaire de compléter ainsi la phrase, parce que la nécessité, l'impossibilité et la contingence ne sont pas elles‑mêmes des jugements et ne forment pas, par conséquent, des subdivisions du jugement logique. Il est, en effet, de l'essence de la division que le nom du tout divisé convient à chacune des parties obtenues. Or, le nom de jugement ne convient pas à la nécessité, à l'impossibilité et à la contingence, dont on peut dire seulement qu'elles sont affirmées par le jugement. Le contexte indique d'ailleurs, très clairement le mot sous‑entendu.
Le jugement rationnel (الحُكْمُالعَقْلِيُّ) est limité à ces trois catégories, parce que ce qui est affirmé par la
raison (العَقْل) : ou bien admet indifféremment l'affirmation et la négation (وَ الإِنْتِفَاء جَمِيعاًالثُبُوت), ou bien n'admet que l'affirmation (الثُبُوت), ou bien n'admet que la négation (الإِنْتِفَاء) ; dans le premier cas, c'est le contingent (ou possible - الجَائِز) ; dans le second, c'est le nécessaire (الوَاجِب), et, dans troisième, l'impossible (المُسْتَحِيل).
XIV
Thème : Le nécessaire est ce dont la raison n'admet pas lanon existence, soit à priori, comme l'impénétrabilité d'un corps ; soit après réflexion, comme l'antériorité éternelle de Dieu.
Exposé :
Le nécessaire logique (الوَاجِبالعَقْل) est, d'après cette définition, ce dont la non existence n'est pas admissible, et ne se conçoit pas dans l’intellect, soit à priori, et sans raisonnement, comme l'impénétrabilité des corps, c'est‑dire l'occupation par ces corps d'une portion de l'espace égale à leur volume ; c'est là une notion dont la raison, à priori, ne peut admettre la négation ; un autre exemple de chose nécessaire à priori, c'est que 2 est plus grand que 1 ; ‑ soit à posteriori, c'est‑à‑dire après réflexion, comme l'antériorité[30] de Dieu le Patron et Très Haut ; la raison n'admet pas la négation de cet attribut, mais c'est seulement après avoir considéré les conséquences impossibles qui découleraient de cette négation, telle que le cercle vicieux, la régression à l'infini, la pluralité de Dieu, et l'attribution à chaque dieu d'une catégorie spéciale de choses possibles, sans intervention d'une cause déterminante. Un autre exemple de chose nécessaire à posteriori, c'est que 1 est le quart du dixième de 40.
Le nécessaire que nous avons défini est le nécessaire d'essence (dzâty - الوَاجِبالذَّاتِيّ). Quant au nécessaire accidentel ('ardî- الوَاجِبالعَرَضِيّ), c'est‑à‑dire ce qui est nécessaire en vertu[31] de son rattachement[32] à la volonté de Dieu, comme le châtiment d'Abou Djahal[33], ce n'est, quand on considère en lui‑même, qu'une chose contingente, dont la raison admet indifféremment l'existence et la non existence; toutefois, quand on considère ce qui a été annoncé par le plus sincère et le plus véridique des hommes (le Prophète (sur lui Prière et Paix !)), à savoir que la volonté de Dieu a été de punir Abou Djahal, ce châtiment est une chose nécessaire dont la raison ne saurait admettre la non existence. Il n'était, d'ailleurs, nullement indispensable de spécifier, dans la définition, qu'il s'agit du nécessaire d'essence, parce que, quand on parle du nécessaire sans distinguer, cela s'entend toujours du nécessaire d'essence ; on ne l'entend du nécessaire accidentel qu'avec un terme spécificatif (إِلَّابِالتَّقْيِيدِ). Et à Dieu le plein succès !
XV
Thème : ‑ L'impossible, c'est ce dont la raison, n'admet pas l'existence, soit à priori, comme un corps qui n'est ni en mouvement ni en repos ; soit après réflexion, comme l'existence d'un associé de Dieu.
Exposé :
Il s'agit également ici de l'impossible essentiel (المُسْتَحِيلالذَّاتِيّ). L'impossible accidentel (المُسْتَحِيلالعَرَضِيّ) est tout différent et appartient à l'ordre des choses contingentes (الجَائِز) : par exemple, l'impossibilité de la conversion d'Abou Lahab[34], résultant de ce que la volonté de Dieu le Très Haut a fait qu'elle ne pût pas se réaliser. Autre exemple d'impossibilité : comme un corps qui n'est ni en mouvement ni en repos. Autre exemple d'impossibilité évidente ou à priori ‑. 2 est le quart de 4, ou la moitié de 8, etc. ; autre exemple d'impossibilité à posteriori : 1 est la moitié du dixième de 40.
XVI
Thème : ‑ Le contingent est ce dont la raison admet l'existence et la non existence, soit à priori, comme le mouvement des corps ; soit après réflexion, comme le châtiment de l'obéissant[35] et la récompense du pécheur.
Exposé :
Le mot djaïz (contingent - الجَائِز)[36] a plusieurs significations ; l'une est celle que nous venons d'indiquer, à savoir : ce dont l'existence et la non existence n'offrent rien d'impossible en soi. C'est ce que nous avons exprimé en disant ce dont la raison admet l'existence et la non existence(يَصِحُّ فِي العَقْلِ وُجُودُهُ وًعَدَمُهً), c'est‑à‑dire toute chose pour laquelle cette double hypothèse d'existence ou de non existence n'offre pas d'impossibilité en soi.
Le contingent est de trois sortes :
1°) celui dont on connaît l'existence d'une manière certaine (maqtou'a - المَقْطُوعُ), comme la coloration en blanc d'un corps quelconque, le mouvement, etc., ou encore comme la résurrection, les récompenses et les peines de la vie future, etc.; 2°) celle dont on connaît d'une manière certaine la non existence, comme la conversion d'Abou Lahab[37] et d'Abou Djahl, l'entrée du mécréant dans le Paradis, etc. ; 3°) celui dont l'existence et la non existence sont également admissibles, comme l'acceptation de nos bonnes œuvres par Dieu, une mort pieuse, l'affranchissement des peines de la vie éternelle (عَذَابالآخِرَة), etc.
En disant « ce dont l'existence et la non existence n'offrent rien d'impossible en soi », nous avons voulu ; dire « entant que l'on considère ce contingent lui-même ». Nous englobons ainsi dans la définition les deux premières catégories : le contingent dont l'existence est certaine (المَقْطُوعُ بِوُجُودِهِ), et le contingent dont la non existence est certaine (المَقْطُوعُ بِعَدَمِهِ). Ces deux espèces de contingent, considérées en elles‑mêmes, n'offrent rien d'impossible au point de vue de leur existence ou de leur non existence. Les récompenses (الثَوَاب) et les peines[38] [de la vie future] (العِقَاب), par exemple, sous le rapport de leur existence ou de leur non existence, ne présentent pas d'impossibilité par elles‑mêmes Mais si nous envisageons ce que Dieu [a révélé] et que Ses prophète (sur eux la Paix !) ont dit pour affirmer leur existence,l'hypothèse de leur non existence conduit à une impossibilité, qui est la fausseté et l'inexactitude de Dieu et des Prophètes (sur eux la Paix !). Le même raisonnement s'applique à la résurrection et aux autres choses contingentes dont la réalisation a été affirmée par le Prophète (sur lui Prière et Paix !).
Il en est de même pour l'entrée du mécréant au Paradis ; si l'on considère ce fait en lui même, son existence et sa non existence ne présentent l'une et l'autre, rien d'impossible ; mais si on considère que Dieu [a révélé] et Ses messagers (sur eux la Paix !) ont déclaré que le mécréant n'entrera pas au Paradis, admettre la réalisation de ce fait conduirait à une impossibilité, l'inexactitude de Celui en qui l'intellect ne saurait admettre l'inexactitude[39].
Dans une autre acception, le mot diaïz (contingent - الجَائِز) désigne le possible, dont l'existence et la non existence demeurent douteuses (المَشْكُوك) ; avec cette signification, il s'applique seulement à la troisième catégorie ci‑dessus.
Le mot djaïz (contingent - الجَائِز) sert encore à désigner soit ce que la Loi[40] (الشَّرْعُ) permet de faire ou de ne pas faire ; c'est alors un synonyme du mot moubah,permis (المُبَاح) ; tels sont la vente, le mariage, etc. soit ce que la loi permet de faire, sans permettre de s'en abstenir ; il a alors une extension plus grande que le moubah (المُبَاح),et comprend (non seulement ce qui est permis, mais encore) ce qui est nécessaire[41] (wadjib - الوَاجِب), ou recommandé[42] (mandoub - المَنْدُوب). En résumé, le contingent (الجَائِز), qui est l'une des subdivisions du jugement rationnel (الحُكْمُالعَقْلِيُّ), doit s'entendre dans le premier sens que nous avons indiqué, savoir : ce dont l'existence et la non existence ne présentent pas d'impossibilité en soi, et non dans le sens de douteux (المُحْتَمَلالمَشْكُوك), ou d'autorisé par la Loi, ou de permis.
Le contingent, subdivision du jugement rationnel (الحُكْمُالعَقْلِيُّ), est désigné quelquefois sous le nom de possible (المُمْكِن) (moumkin ). Les deux termes de possible et de contingentrationnel(الجَائِزُالعَقْلِيُّ) sont donc synonyme[43] des scolastiques[44]. En termes de logique[45], c'est le possible spécial (المُمْكِنُالخَاصُّ) qui est synonyme du contingent rationnel[46] (الجَائِزُ العَقْلِيُّ); le possible général est ce dont la réalisation n'est pas impossible, et comprend, par conséquent, le nécessaire (الوَاجِب) et le contingent (الجَائِز) rationnels, n'excluant que l'impossible rationnel[47]. En donnant comme exemple[48] du contingent à priori (الجَائِزالضَّرورِيّ) le “mouvement des corps”, nous avons entendu marquer que le contingent se divise également en deux espèces :
1°) le contingent dont nous saisissons à priori, c'est‑à‑dire sans examen (بِلَابِالتَّأَمُّل), l'existence et la non existence comme possibles : tel est le mouvement des corps ; nous constatons, en effet, de visu, que le mouvement peut exister ou ne pas exister en eux ; 2°) le contingent que l'esprit[49] ne saisit qu'après réflexion (إِلَّابِالتَّأَمُّل) : tel est le châtiment infligé à celui qui a obéi à Dieu (تَعَالَى), sans jamais enfreindre sa loi.
Tout d'abord, l'intellect[50] repousse la possibilité de châtiment, elle le considère même comme impossible comme l'ont fait les "Séparés" (المُعْتَزِلَة)[51]. Mais après avoir réfléchi l'Unicité de Dieu le Très Haut (وَحْدَانِييَّتِهِتَعَالَى), Sa singularité[52] dans Sa création de toutes les choses possibles, qui, toutes, bonnes ou mauvaises émanent directement[53] de Sa volonté ; que toutes les actions humaines sont égales par rapport à Lui ; qu'il ne tire aucun profit de l'obéissance, et ne subit aucun préjudice de la désobéissance; qu'il n'est ni amoindri, ni atteint par la mécréance, ni par la désobéissance de l'homme, ni par l'empêchement, et que nul ne peut lui imposer une décision[54] ; on comprend alors, d'une manière certaine, que s'Il a assigné au mécréant un châtiment terrible, et à l'homme pieux une éternelle félicité par pure bonté, Il pourrait faire le contraire, ou n'attribuer ni châtiment, ni récompense, sans qu'il y ait en cela, au regard de l'obéissance (الطَّاعَة), de la mécréance[55], ou la désobéissance (المَعْصِيَة), considérées dans leur essence, ni contradiction, ni impossibilité. Et à Dieu le plein succès ! FIN.
Que les meilleures salutations soient sur l'ensemble des messagers et
prophètes dont le Sceau de la Prophétie, le prophète Mohammad (sur lui
Prière et Paix !).